La Passion du Vin : LPV pour les intimes

Il faut rendre au cépage César ce qui est au cépage César : La Passion du Vin, LPV pour les intimes, est la plus importante source d’informations en ligne sur le vin, la plus importante au monde. Jérôme Pérez, 44 ans, directeur d’une structure scolaire pour adolescents en difficulté dans le civil, est l’un des fondateurs et administrateurs de LPV. Il répond à nos questions. Quelques chiffres : créé en 2002 par une poignée de passionnés, La Passion du Vin (dont le cœur est un immense forum) compte aujourd’hui 400.000 messages publiés, concernant les vins de France, du Monde, l’art de la dégustation ou encore les bonnes adresses, et plus de 6.000 contributeurs inscrits. Parmi eux, une élite d’amateurs qui, en termes de connaissances œnologiques, n’a rien à envier aux plus grands critiques professionnels. Jérôme Pérez fait certainement partie d'entre eux :     Vindicateur : A titre personnel, comment êtes-vous venu (et resté) au vin, puis à LPV ?   Jérôme Pérez : L’éternelle question du pourquoi d’une passion ? L’argument que j’avance souvent, sans savoir vraiment s’il est le bon, est de rappeler mes origines vigneronnes. Mon grand-père faisait du vin, dans un endroit qui évoque pour moi un paradis d’enfant où je passais mes vacances : ça sentait le travail, la sueur, les gens avaient les mains calleuses et les doigts bleuis. J’aimais cette vie paysanne et la magie de l’ambiance de la cave, mystérieuse, sombre, pleine d’odeurs… Mon grand-père faisait un très honnête vin blanc avec des noms de cépages poétiques : loin de l’œil, mauzac… J’aimais son vin. Mais je crois aussi que j’ai le goût des belles choses, un esthète qui s’est trompé de siècle : personnellement plus esthète qu’épicurien, mais ce n’est pas le cas d’autres amis de cette belle aventure qu’est LPV : nous en parlons parfois. Il y a de la beauté dans certains vins et du raffinement. J’ai des goûts de luxe, je crois !   J’ai lu beaucoup sur le sujet et Internet est arrivé en participant à étancher cette soif de connaissance. C’est Internet qui nous a réunis, tous. Nous avons fait connaissance virtuellement, d’abord sur le site de la RVF et son forum qui s’appelait Magnum Vinum, puis sur un autre petit forum quand le premier a explosé faute d’être modéré. Quelques tensions avec le webmaster nous en ont écartés : une aubaine ! Ce fut le début d’une belle aventure, d’une belle histoire d’amitié et LPV a été mis en ligne en trois semaines ! Tout s’est fait par mails, du Chili à la Suisse en passant par la Belgique et la France : nous sommes les enfants du Net. Tout nous séparait : la géographie, les goûts en matière de vin, notre position sociale, etc ; uniquement réunis par une passion et une histoire commune. Nous nous retrouvons à chaque fois avec la même joie. C’était du bricolage au départ, un site de copains qui est vite devenu une « start-up » ; une start-up qui ne rapporte rien, mais qui coûte, puisque nous finançons tout. Que de chemin parcouru ! Aujourd’hui, c’est 200.000 pages lues chaque jour, 6.243 inscrits à l’heure où je vous parle, un serveur dédié uniquement à ce site mais surtout des interventions de très grande qualité. La force de ce site, c’est son indépendance aujourd’hui connue et reconnue, l’absence de ligne éditoriale parce que tout le monde peut donner son opinion et l’argumenter, la volonté aussi de garder un niveau de langue que l’on ne retrouve pas sur tous les fora (même si parfois on aimerait encore plus de rigueur de nos intervenants) et notre mode de gestion basé sur la discussion et la loyauté quand les décisions sont prises.   V : Comment qualifieriez-vous LPV en tant que projet collectif ? Quid de ses éventuels futurs développements ?   JP : « La Passion du Vin » est devenu une base de données phénoménale, sans précédent. Sans doute le forum américain de Robert Parker a plus d’audience, mais il est construit davantage comme une liste de discussions. L’organisation des rubriques sur LPV permet que l’on trouve facilement des informations sur un vin grâce au moteur de recherche interne. Nous avons une très bonne indexation dans Google, de sorte qu’une requête faite sur ce searcher aboutit en général en première position sur notre site. Il s’agit bien, comme vous le dites, d’un projet collectif : bien sûr, il faut trier les informations, bien entendu, il y a des messages a priori sans intérêt, mais qui font partie du lien entre les habitués du forum, qui est devenu une véritable communauté. Des groupes se créent, des clubs de dégustation en découlent sous l’égide de LPV : le virtuel est brisé bien souvent et finalement les retours de ces dégustations viennent enrichir la base de données. C’est chronique. Aujourd’hui les statistiques nous donnent raison : ces statistiques sont d’ailleurs visibles par tout un chacun sur le site, nous ne cachons rien.   En tant que projet collectif, nous avons également mis au point avec l’aide précieuse de Bertrand Le Guern un outil assez inédit : une carte des millésimes qui se construit au quotidien et qui est participative : chacun rentre ses appréciations et le résultat tient largement la route, à notre avis.   Par ailleurs, le site « La Passion du Vin » est considéré d’une certaine façon comme un guide. Nos statistiques l’attestent : les taux d’audience les plus élevés sont réalisés au moment des primeurs et des foires aux vins. Nous savons également que de nombreux vignerons viennent lire ce que les consommateurs pensent de leur vin. Si certains osent intervenir, et il en est de fort célèbres, nous regrettons qu’ils ne soient pas plus nombreux à apporter un éclairage sur leur façon de travailler, ou simplement pour s’exprimer sur ce monde qui nous passionne. Dernièrement, J-M Deiss a ouvert un débat sur l’évolution de l’Alsace (administrative et stylistique). Cela a initié un débat très intéressant, avec l’émergence de points de vue assez inédits, une sorte de brainstorming réjouissant et positif.   Ce que nous avons toujours refusé, c’est que LPV soit un tremplin promotionnel pour un domaine ou une marque commerciale, quelle qu’elle soit et nous sommes très vigilants à cet égard. Cette farouche volonté de garder notre indépendance est aussi notre crédibilité. Bien entendu, la croissance de l’audience, la gestion d’un tel outil, demande que l’on réfléchisse d’abord à sa pérennité et ensuite à sa viabilité : ce sont des réflexions et des discussions quotidiennes en notre sein et il est évident que « LPV » devra évoluer. Cette évolution ne devra pas faire perdre son âme à ce forum. Nous voulons favoriser les expériences collectives, les dégustations d’envergure, nous ne manquons pas de projets…     V : Votre plus grand souvenir de dégustation à ce jour ?   JP : Sans aucun doute, il s’agit de ma dernière rencontre avec mes associés en Belgique en octobre dernier. Beaucoup de très grands vins, mais aussi le fait de concrétiser des sacrés liens d’amitiés qui dépassent bien le cadre de la dégustation pure. De grosses émotions quand même lors de ce séjour, avec Salon 1996 et Clos Sainte Hune 1998, mais la plus grande c’était de me retrouver avec mes amis et complices, fiers de ce que nous avons fait de LPV, au-delà de toutes nos différences et sans doute grâce à elles. En termes de dégustation pure, je crois que ma rencontre avec le Pavillon 2006 de Chapoutier, ou la cuvée Madame du Château Tirecul La Gravière 2001 restent mes plus belles émotions.     V : Et pour terminer sur une note légère, à la façon du questionnaire de Bernard Pivot, si vous étiez une cuvée ?   JP : Il faut que ce soit une cuvée qui me ressemble, j’imagine ! Ou une qui me plait ! Je vais tenter de faire une synthèse des deux façons d’aborder la question : un blanc, c’est sûr. Vif, acéré et minéral. N’allez pas croire pour autant que je renie ce que j’ai dit plus haut ! J’aime la fraîcheur et la vivacité. Je suis parfois assez tranchant et plutôt effervescent… Mais les sucres résiduels ne me font pas peur ! Une cuvée de Champagne, donc, de toute évidence : Alors ce sera Clos Cazals. Le 1999 est un très beau Champagne.     Retrouvez ou découvrez : La Passion du Vin.     Propos recueillis par Antonin Iommi-Amunategui © Vindicateur, 01/2010