Laurent Baraou, caviste corsaire

Laurent Baraou et ses associés tiennent une cave à Bû (ça ne s’invente pas) non loin de Paris. Artisan caviste sachant manier les réseaux sociaux, ''le Baraou'' est un professionnel amoureux du vin, militant pour la cause des nombreux vignerons et domaines dont il apprécie d’abord la démarche ou la personnalité ; par opposition au rouleau compresseur d’une certaine grande distribution uniforme… Il est ainsi le corsaire de ces domaines qu’il file, drapeau du qualitatif hissé haut, livrer dans la capitale notamment. Et puis, non, il n’est pas amoureux de Marlène Soria du Domaine Peyre Rose – juste de ses vins (et de pas mal d’autres). VindicateurVous êtes venu aux vins grâce à votre grand-père, qui avait patiemment constitué une très belle cave ; mais quel a été le déclic, une expérience, une sensation ou un moment précis ?   Laurent Baraou : Je crois que c'est un ensemble. Mon grand père maternel était commerçant et travaillait respectueusement ; à titre personnel il achetait du vin pour le garder longtemps avant de le boire (sauf le vin de tous les jours produit localement par un paysan et qu'il buvait à chaque repas y compris pour ''faire chabrot'' en finissant sa soupe quotidienne). C'était un artisan boulanger et ma grand-mère tenait une épicerie en complément ; il allait tous les lundis à Bordeaux (75 km) pour s'approvisionner chez ses grossistes (le long des quais de Bordeaux). Il assurait aussi une tournée locale pour livrer le pain dans les fermes isolées autour du village. Mon père était un représentant de commerce qui travaillait sur 19 départements du sud-ouest ; c'est certainement de lui que je tiens la capacité de parcourir de longs trajets routiers pour trouver des vignerons et des clients. J'ai toujours bu du vin et j'ai rencontré des vignerons paysans dès mon plus jeune âge ; puis j'ai découvert les grandes propriétés bordelaises (j'ai grandi à Bordeaux) par mes camarades de classes. Un jour j'ai compris que le commerce des vins pouvait être amélioré… Ce fut le début de l'aventure et des galères !     VindicateurVous avez ouvert votre cave en 2004 à Bû dans l'Eure et Loir (60 km de Paris). Bû... hasard, coïncidence, volonté espiègle ?   Laurent Baraou : Un accident ! J'avais lancé l'idée de me spécialiser dans la gestion de cave pour les particuliers (un peu comme un caviste de ''l'ancien temps'' pour les rois, les princes, puis les restaurants) mais cette prestation de service ne suffisait pas, j'ai donc quitté mon emploi pour ajouter la vente de vins en bouteilles à l'activité, et pour cela il me fallait de la place. Nous avons trouvé la propriété idéale mais suite à une manœuvre malhonnête de la part du vendeur il a fallu installer famille et entreprise dans le même lieu, une maison achetée rapidement à Bû.   Un jour, lors d'un contrôle nocturne sur une route de la Creuse, le gendarme a interpellé ses collègues pour leur dire ''le monsieur est caviste à Bû !''. Depuis nous communiquons sur des jeux de mots autour de ce hasard. Et mon nom commence par un B, se termine par un U, et l'accent circonflexe de Bû symbolise les lettres ARAO comme souvent dans la langue française pour un S disparu avec le temps... Néanmoins, Bû est très bien placé et a connu une longue histoire avec la vigne et les marchands de vins qui livraient Paris comme nous.     VindicateurVous vous présentez comme un ''artisan caviste rural exerçant un commerce équitable de bons vins issus du travail de vignerons paysans'' : artisan, rural, équitable, paysans... Ces mots ne sont pas là par hasard, quel combat menez-vous, cela semble presque politique voire philosophique ?   Laurent Baraou : Politique et philosophique ? Je dis oui ! Ces mots sont choisis pour souligner ma démarche. C'est un choix qui reflète mes valeurs, pas juste un positionnement marketing. J'aime les vignerons, peut-être plus que les vins eux-mêmes et c'est en qualité de partenaire des vignerons que je positionne mes activités.     Vindicateur''J'aime les vignerons, peut-être plus que les vins eux-mêmes'' : vous est-il arrivé de rencontrer et d'aimer un vigneron – mais pas ses vins ? Comment gérer une telle situation, en tant que caviste notamment ?   Laurent Baraou : Oui c'est arrivé, ça arrive et ça arrivera encore. Je ne vais pas donner de noms mais il y a des vignerons que j'aime pour leur personnalité, pour leur approche, pour leur sympathie… mais dont je n'aime pas assez les vins pour les commercialiser ou dont les vins ne correspondent pas à mes recherches. Dans ce dernier cas j'étudie alors la possibilité de parler d'eux dans ma rubrique sur IDEEMAG. Dans tous ces cas il faut dire la vérité ; le plus dur c'est quand je ne trouve rien de positif à dire… Là je ne dis rien.     VindicateurVous mettez ''un point d'honneur à connaître les terroirs et les producteurs'' ; comment vont-ils aujourd'hui, les terroirs et producteurs de France, de votre point de vue ?   Laurent Baraou : Les terroirs sont de mieux en mieux identifiés, compris et exploités. Avec une prise de conscience de la dimension ''durable'' mais une moins bonne perception de l'aspect ''équitable''. Quant aux vignerons (les ''producteurs'' m'intéressent peu), ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre la catégorie ''qualité et respect'', de plus en plus jeunes (comme les consommateurs), mais le marché ne suit pas. Alors j'ai peur que l'on compte de nombreuses faillites ou reconversions dans les prochains mois.     VindicateurVous proposez notamment des cuvées spéciales ''Bû – Baraou & Associés'' conçues exclusivement pour vous par un vigneron ; en l'occurrence vous fonctionnez un peu comme la grande distribution : c'est pour les battre à leur propre jeu ?   Laurent Baraou : Battre la Grande Distri à son ''propre jeu'' voudrait dire ''jouer'' avec la GD ; je ne joue pas avec des ''tricheurs''.   Il s'agit simplement de pratiquer comme certains anciens marchands de vins, en choisissant une barrique particulièrement séduisante, ou une parcelle dont les fruits ne trouvent pas leur place dans un assemblage, ou une récolte trop atypique pour créer une cuvée chez un vigneron, et d'en faire une cuvée exclusive. Comme nous ne souhaitons pas devenir négociants ni assurer nos propres mises en bouteilles, nous optons pour un achat ou une réservation ''en primeur'' que le vigneron nous livrera en bouteilles avec un étiquetage spécifique.   Ainsi 6 cuvées (2 en blanc et 4 en rouge) ont été conçues : 1 en Vallée du Rhône, 2 dans le Gers, 3 dans le Bordelais. Une nouvelle cuvée est à l'étude dans le Sud-ouest. Ces vins ne sont produits qu'en toutes petites quantités (maximum 600 bouteilles) et sont destinés à la clientèle des particuliers curieux.     VindicateurGuillaume Durand a récemment dit à la TV que ''les vins bio, c'est dégueulasse''. Une attachée de presse lui a prestement répondu, via une lettre ouverte, qu'il se trompait : ce sont les vins nature qui ''sentent la fiente''. Que leur répondriez-vous, à l'un et à l'autre ?   Laurent Baraou : Il existe de très bons vins ''modernes'' (j'entends par là issus de technologie et de chimie post-seconde guerre mondiale), de très bons vins issus de raisins de l'agriculture biologique (le vin bio n'existe pas encore) et de très bons vins ''naturels'', c'est-à-dire obtenus avec des procédés les plus naturels possible (libre interprétation) et avec peu ou pas de soufre ajouté. Des vins dégueulasses il y en a aussi : ''issus'' de la Grande Distribution surtout.   L'artisan produit peu et c'est par son originalité qu'il se fait remarquer ; il est très attaché à la qualité de son travail. Pour autant, le goût d'un vin, le plaisir qu'on prend à le boire, sont des données subjectives. De plus, le ''mode d'emploi'' n'est pas fourni avec la bouteille et un amateur ''classique'' de bordeaux ou bourgognes prestigieux bus à maturité peut être surpris par certains vins. C'est un problème d'éducation ; et d'ouverture d'esprit !   Pourtant, dans l'entourage professionnel de Guillaume Durand j'ai un client qui m'achète et boit avec plaisir des vins qui sont issus de la biodynamie.   Quant à la communication... Les tenants du marché (Propriétaires et Négociants qui vendent chers et/ou beaucoup, acteurs de la Grande Distribution) font pression, manipulent… pour que le consommateur ne revienne pas vers des artisans proches de la nature. Mais tant qu'on parle des vins on fait du bien à la filière.     VindicateurQuels sont, professionnellement parlant, vos projets et/ou vos attentes à court, moyen voire long terme ?   A court terme : survivre ! Effectivement la crise financière a frappé juste après de lourds investissements et j'ai beaucoup de difficultés à amortir le choc. De plus, les conséquences sont profondes sur le comportement des clients et il faut en tenir compte pour les objectifs à moyen terme. Ainsi nous concentrons nos sélections sur une gamme de vignerons partenaires avec l'idée de consolider avec eux des relations sur le long terme.     Vindicateur''Baraou & associés'' : pouvez-vous nous dire un mot sur vos associés ?   Laurent Baraou : Baraou & associés est une SARL conçue à l'origine pour distinguer l'activité ''grossiste'' des activités ''caviste détaillant'' et ''gestion de caves''. Puis, afin de simplifier la gestion, nous avons distingué deux gammes, celle des vins dont notre diffusion n'est que locale ou réduite, et celle des vins pour lesquels nous devons disposer de stocks plus importants et de moyens adaptés. L'Entreprise Individuelle Laurent Baraou (sous son enseigne Les Vins de Saint Antoine) est prioritairement concentrée sur la première gamme, la SARL Baraou & associés sur la seconde. Nous disposons aussi d'un partenaire privilégié dans le sud de la France (lb.gm artisans cavistes à Pamiers en Ariège).   Nous avons pris l'habitude communiquer sous le nom de Baraou & associés car l'intitulé ''Groupe LB'' (avec son logo sur les tabliers de l'équipe et en filigrane dans les logos des différentes entités) est un peu trop pompeux ! Même si, en toute logique, je devrais signer sous cette dénomination.   Les associés n'ont donc pas tous le même rôle, ils ont chacun leurs sensibilités, leurs compétences, leurs contacts, et ils sont tous importants. Toutefois, Sylvia (ma compagne) est la ''Pièce Maîtresse'' !     VindicateurEtes-vous secrètement amoureux de Marlène Soria (Domaine Peyre Rose) ? Laurent Baraou : Secrètement ? Non, je suis simplement ouvertement amoureux des vins et du domaine. Elle nous a fait le plaisir de venir présenter ses vins à Bû comme de nombreux vignerons partenaires de Baraou & associés et c'est à chaque fois un grand bonheur de recevoir les vignerons qui travaillent avec nous, Marlène comme les autres.     VindicateurLa dernière bouteille au monde, pour vous, ce serait laquelle ?   Laurent Baraou : Cette question est ambiguë : dois-je émettre un souhait (ou faire un choix) ou est-ce un pronostic sur la dernière bouteille de vin qui sera produite, voire la dernière bouteille qui sera un jour exposée dans un musée rendant hommage à une population de primates industriels qui buvaient du jus de raisins fermenté, quelle drôle d'idée ?   Dans le premier cas je souhaite juste que ce soit un vin plein d'émotions et - surtout - que la bouteille soit au moins un magnum ! Et si j'ai le choix, un magnum de la cuvée 1901 du Château Beauséjour à Montagne-Saint-Emilion, parce que c'est bon, parce que le vigneron serait le bienvenu pour partager ce dernier breuvage et parce que la cuvée Oro de Peyre Rose n'existe pas en magnum !   Dans le second cas, j'espère que ce ne sera pas un vin industriel standardisé par une bonne conscience écologique mais sans vie. J'espère plutôt que ce sera un vin clandestin et naturel, produit secrètement en grappillant des raisins de vignes ''cachées'' par des arbres, dans une région éloignée des zones de production de l'industrie agro-alimentaire.   Dans le troisième cas, ce sera certainement une bouteille de Mouton Rothschild 2000 car le ridicule ne tue pas, et ne meurt pas. Et grâce à ceux qui en possèdent car ils ne les boivent pas.     La cave : BARAOU & Associés 39 rue Saint Antoine - 28410 BÛ 02 37 82 25 18 laurent@baraou.fr Sur R-V de préférence.   En ligne : Promotion : Laurent Baraou offre 10 % de remise sur son catalogue (hors port) aux 3 premiers internautes à poster un commentaire à la suite de cet entretien !       Propos recueillis par Antonin Iommi-Amunategui © Vindicateur, 04/2010