Le critique idéal est un idiot

Dostoïevski dans la place ! ''L'Idiot'', son roman, qu'on l'ait lu ou pas, met en scène un personnage singulier, frappant, attachant. En raccourci, c'est une espèce de Christ, une pureté insolente de dire ce qu'elle pense, un ingénu à découvert au milieu des masqués… Voilà peut-être le modèle idéal du critique de vins ? L'idiot, évidemment, ne l'est pas   L'idiot, en l'occurrence, ne l'est qu'aux yeux des autres, qui ne le comprennent pas : ce type paraît ne pas connaître, ne pas comprendre, les convenances, les hiérarchies implicites en société. Il dit ce qu'il pense, sans tenir compte du contexte, de l'interlocuteur. Il est sincère, face au prince ou au paysan. Il est fou, socialement parlant.   Mais pour être cet idiot-là, pour poser ingénument les bonnes questions, il faut être doté d’une intelligence bizarre. L'idiot n'est pas un énervé, ni un enfonceur de portes ouvertes. Il pose tranquillement les questions qui fâchent, qui touchent ; des questions que lui inspire sa vision impeccable du monde, parfaitement claire et sincère, dégagée de tout a priori. Une vision pure, infantile, glissée dans des méninges adultes.     A peine humain ?   Hélas, notre idiot dostoïevskien semble à peine humain, comme tombé du ciel… Rapporté au monde du vin, il faudrait sûrement que ce ne soit pas sa culture, son environnement ; qu'il débarque et porte un regard intelligent et fin et sincère sur un univers qu'il semblerait découvrir en permanence.   Qu’il soit par exemple capable de demander comment un pur jus de gamay nature, mettons un Morgon de Marcel Lapierre, peut être si bon ? Pourquoi faire des vins avec dix ou cent intrants œnologiques, si c’est si bon sans ? Question idiote… Bien sûr, les questions idiotes ne porteraient pas toutes sur les vins ''nature'', parce que l’idiot, par principe, ne peut pas être enfermé dans un courant, quel qu'il soit. Mais Marcel Lapierre, grand vigneron du Beaujolais, vient de mourir, alors l’exemple vient, naturellement.     American psycho   L'auteur américain Jay McInerney, qui a publié des romans qu'on rapproche de ceux de Brett Easton Ellis, écrit également sur le vin, notamment dans The Wine Street Journal. Serait-il un modèle d’idiot, suivant la définition donnée ci-dessus ? Probablement que son regard, décalé ou distancié, sur le monde du vin est plus juste que celui de bien des critiques établis, trop dans leur jus… Finalement, il y a sûrement quelques idiots du vin déjà actifs. C’est un sacré compliment.     Antonin Iommi-Amunategui ©Vindicateur, 10/2010