Le débat sur le vin naturel est dépassé
Interminable marronnier du pinard, le vin naturel crée la polémique tous les deux mois un quart. Dernier marron chaud, l'édito de Michel Bettane dans une revue italienne : le critique français y dénonce une ''invasion de vins dits naturels''. Des vins ''qui puent'', qui pètent et prennent leur cul (de bouteille) pour une trompette. Pourtant, ce débat est déjà largement dépassé. Démonstration en trois points.
Le vin naturel n'est pas une mode
Une mode ne dure pas des années, elle ne s'organise pas, ne s'installe pas durablement. Sauf à être devenue autre chose et à faire partie du paysage.
De fait, il existe une définition associative suffisamment précise de ce à quoi correspond un vin naturel. Et de nombreux viticulteurs appliquent ces principes, parfois depuis des décennies.
Certes, ces vins rencontrent un succès grandissant. Mais ça n'a rien à voir avec une quelconque mode, c'est bien plutôt le résultat d'une maturité au sein de ce mouvement. L’auteur et critique américaine Alice Feiring, qui fait un peu figure de porte-parole internationale des vins naturels, l'explique simplement :
''Quand je suis allée à mes premières Dive [un salon où la quasi-totalité des vins sont, de fait, naturels – ndlr] en 2001, 2002, 2003, beaucoup de vins étaient instables. Mais maintenant la plupart des vins, même les vins nouveaux, sont beaux. Une maturité a été atteinte. Bien sûr, ce n’est pas parce que c’est naturel que c’est formidable, il faut que ce soit bon aussi, mais nous en sommes là aujourd’hui…''
L'expression ''vin naturel'' est d'usage
Le terrible et poussif argumentaire des antis consiste notamment à ressasser que le-vin-n'est-pas-naturel. Ah bon ? Non, sans déconner ?
Alors qu'ils se le gravent au cep de vigne bien profond dans la paume : ''vin naturel'' est une expression d'usage, que nul n'a jamais entendue autrement, littéralement. Chacun sait que le vin ne se fait pas tout seul. En l'occurrence, un vin naturel est un vin bio conçu avec un minimum d'interventions, notamment en termes d'additifs. Ce n’est pas un vin magique.
L'expression ''vin naturel'' est également celle qui a été le plus largement adoptée : natural wine, vino naturale, vin naturel, etc. Il n'y aura pas de retour en arrière, c'est bien cette expression qui demeurera, avec l'usage parallèle de ''vin nature'' (qui renvoie généralement à un vin naturel sans aucun ajout de sulfites). Qu'on l'accepte donc, qu'on avance.
Vin naturel : l'arbre qui cache la forêt
Ces critiques récurrentes, et qui tapent régulièrement à côté (comme en stigmatisant les vins sans soufre ajouté alors que c'est précisément, à faible dose, le seul additif autorisé par l'association des vins naturels), parasitent des sujets autrement plus sérieux.
Ainsi, pour Pierre Guigui, journaliste à la revue Gault & Millau, ''il n'y a pas débat sur la question des vins sans ou avec peu de SO2. Cette production est infime... et parler de cette production cache bien d'autres sujets [comme] la pollution de l'eau et les cancers à cause des produits phyto''.
D'ailleurs à trop jeter la pierre, on risque le retour de flamme : ''Que M. X ou M. Y aiment ou n'aiment pas les vins natures mais quel est le problème ? Il y a des vins natures intéressants et aussi des cochonneries, mais c'est pareil en conventionnel. Combien de vins sans âme emplissent les linéaires. Il y a bien plus de vins sans intérêt en conventionnel...''
Derrière la petite médiatisation des vins naturels se pose, en vérité, la question du bio artisanal : un mode de culture considéré aujourd'hui comme alternatif, parallèle, et surtout irrécupérable en l’état par un système qui repose largement sur les circuits habituels de l'agro-alimentaire (commercialisation massive de produits phytosanitaires ou œnologiques en amont, grands réseaux de distribution en aval).
Le vin naturel – ou bio artisanal – remet donc en question un modèle qui encadre toute notre agriculture moderne : il n’utilise pas ou très peu de produits, il ne se vend pas dans les grandes surfaces ou dans les chaînes… Et parce que c'est du vin, et pas une simple tomate ou un concombre, c’est plus parlant, plus fort, plus médiatisé. Plus dangereux pour le système ?
Antonin Iommi-Amunategui
Photo : Agan Harahap
©Vindicateur, 01/2013