Le vin est humain !

Certains enfants sont virulents, d’autres effacés, quelques-uns adorables ou mûrs (trop ?) pour leur âge. Les anciens, quant à eux, ont parfois mille choses à dire, des anecdotes savoureuses, des témoignages émouvants, des histoires profondes ou intenses – tant qu’ils ne sont pas gâteux, dépassés... Mais de quoi suis-je en train de parler ? Je parle d’hommes, je parle de vins. Il n’y a pas d’autre équivalent : les vins sont de petits humains en forme de bouteilles. Et nous sommes des cannibales. A la façon de ceux qui dévoraient le cœur de leurs ennemis pour se renforcer, engloutir leur âme ! Sauf que nous engloutissons des amis, joyeusement.     Le vin est un humanisme   Peut-on aimer le vin, l’aimer vraiment, sans aimer les hommes ? L’acte de verser le vin est en soi un acte de partage, de don. Quand bien même on se sert un verre de vin étant seul, l’échange existe : avec le vigneron qui a conçu la bête. On discute avec lui, et quelques lampées plus loin, on est amis – ou pas.   Bien sûr, une bouteille est toujours mieux bue à plusieurs ; c’est sa vocation première, évidente. Elle devient alors un vecteur relationnel, d’autant plus intense que le vin est remarquable.     Le vin est un shamanisme   L’expérience d’une bouteille partagée peut, parfois, rarement, placer un groupe (forcément restreint) dans un espace-temps particulier. On avait déjà évoqué les TAZ dans un précédent article, ces ''zones autonomes temporaires'', surgissant à l’improviste, et caractérisées par l’expérimentation d’une liberté inédite pour les sujets présents. Le vin pouvant donc, selon notre hypothèse, être le vecteur d’une TAZ.   Au-delà, le vin peut certainement trouver un écho dans les expériences de type shamanique, plus spirituelles. Sa consommation collective (petit groupe d’initiés) et cérémoniale (on boit un beau vin avec de réels égards) permettant alors une élévation... de la conscience.   Est-ce qu’on délire ici, va-t-on trop loin, vers une forme de romantisme inutile et déplacée ? Peut-être, probablement, mais il y a une intention : celle de placer et replacer sans cesse le vin dans la sphère culturelle, et peu importe donc la confiture qu’on tartine, pourvu qu’elle soit culturelle. Le vin est d’abord un objet culturel (c’est d’ailleurs Claude Levi-Strauss qui aurait le premier employé cette formule).     Antonin Iommi-Amunategui © Vindicateur, 01/2010