Millésime-fiction : 2013, la fin de Bordeaux (épisode IV)
Précédemment dans Millésime-fiction… Un manga dévastateur, ''Le Pif de Dieu'', a tué le dieu Grand-Bordeaux ! Malgré leurs efforts, les grands châteaux et leurs derniers fidèles ne sont pas parvenus à éviter la déroute… Où va donc le vin de France ? Dans le mur, dans l’évier, dans le verre ?
Les grands crus en tartare
Les marchés mondiaux ont basculé les uns après les autres. Exit Margaux, Pauillac, Pessac, ils se tournent vers les vins émergents ou méconnus, des vins du monde, de France, qui cassent des briques sans coûter des briques. Big Bordeaux n'intéresse plus les consommateurs, crésus compris, et par conséquent plus personne.
A Bordeaux, seuls les domaines off, loin du fracas du fric, s'en sortent. Gombaude-Guillot vend plusieurs millésimes d'un coup (''Le Pif de Dieu'' lui faisant un clin d'œil appuyé en page 127, avec un Olivier Techer en champion du vin et de l’octogone dans un improbable combat de l’Ultimate Fighting Championship). Champ des Treilles rachète Pontet-Canet, les anciennes alliances et deux-trois bisous aidant. D'autres, au marketing atypique voire sincère, tirent également leur épingle du jeu. Le Château Poupille et son Côtes de Castillon nature. Ou encore le Château La Levrette avec sa nouvelle cuvée ''Missionnaire Haut Brion''.
A l’inverse, certaines régions connaissent une demande de dingue. En Provence, les merlots d’Henri Milan deviennent soudain aussi prisés que l’étaient ceux de Pétrus. Dans le Sud-Ouest, les Bergerac blancs d’un Château Lestignac achèvent les Pessac. Dans le Languedoc, Iris Rutz-Rudel est forcée de se camoufler plusieurs jours sous des peaux de sanglier encore fumantes, de sorte que les cars d’oenotouristes qui croisent lentement dans ses parages ne l’aperçoivent pas… Tout ça parce que Le Pif de Dieu a consacré une double-page à son ''sacré caractère de mourvèdre''.
Côté critiques, Michel Bettane, en préretraite sur l’île de Ré, lâche un éditorial obscur, repris par deux-trois hebdomadaires, où il explique l'évidence du phénomène, couru d'avance, à travers une curieuse thèse où il est question d'idéologie nazie et de capitalisme salace (à moins que ce soit sauvage ?). Robert Parker se marre littéralement sur Twitter, publiant une photo où il apparaît, torse nu et manifestement ivre, devant sa cave perso où se bousculent environ 3000 bouteilles de Bordeaux.
Sur Internet, les blogueurs s’écharpent pour savoir s’il faut essayer de racheter Mouton Rothschild ou Cheval Blanc contre 1€ symbolique. Et les convertir à la Cosmoculture. Le cœur de l’embrouille étant de savoir qui lâchera son iPhone pour aller labourer. Le bi-média BourgogneLive tente bien de calmer le jeu, de sauver quelques meubles bordelais, à travers une vidéo remarquable dont Arte s’empresse d’acheter les droits (vidéo qui arrachera même quelques larmes à Michel Rolland). Mais c’est peine perdue, la rupture est consommée, totale. C’est ''la-la-lie'', ose un Hervé Lalau, qui en bredouille d’émotion (ou d'ironie).
Cependant, au fin fond de l’Entre-Deux-Mers, du Bourgeais ou du Blayais, des viticulteurs inconnus écarquillent les yeux, voyant de nouveaux clients arriver. Une renaissance par le bout humble de la lorgnette ? Le 31 Juillet 2013, sous la plume d’Ophélie Neiman qui en dirige le service société, Le Monde va jusqu’à titrer ''Les grands crus sont morts, vive le pif ?''.
Deux semaines plus tard, Gary Vaynerchuk publie son nouveau best-seller, ''Gamay money !'', ventant le cépage beaujolais par excellence. Et plus encore sa monétisation facile. Très vite, le marché s’emballe, des milliers de commandes tombent des states, les prix grimpent… ''La roue tourne'', lâche en souriant la nouvelle présidente de l’interprofession, Isabelle Perraud, en faisant éclater une belle bulle de chewing-gum à la chlorophylle bio.
Retrouvez, sur Vindicateur, les épidodes I à III de la grande saga de l'été : Il y a du Bordeaux dans le gaz, Le manga et le travelo et Les milliardaires prennent le maquis...
Pédalé par Antonin Iommi-Amunategui
Photo : La merditude des choses
©Vindicateur, 07/2011