D’abord limité aux seuls vins de table et à la phase d’élevage, l’ajout de copeaux de chêne est désormais autorisé lors de toutes les étapes de la vinification ; et des essais ''positifs'' ont été réalisés sur les AOC Bordeaux et Médoc. On se rapproche bien, en France, d’une généralisation de l’autorisation des copeaux dans le vin. Scandale ou simple évolution technique ?
La technique des copeaux de chêne
Il faut d’abord rappeler en quoi consiste cette technique. Le dernier règlement de la commission européenne sur les pratiques œnologiques, voté en juin, autorise l’usage des morceaux de chêne d’une taille supérieure à 2 mm pour ''l’élaboration et l’élevage des vins (...) y compris pour la fermentation''.
Décèle-t-on une différence qualitative entre l’élevage en barrique et l’utilisation de copeaux de chêne ? Non, répondent certains spécialistes de la question, notamment ceux qui ont réalisé les tests les plus récents. Lorsque ''les copeaux sont utilisés judicieusement, aucune différence significative ne pourrait être observée entre les vins en barrique et les vins expérimentaux additionnés de copeaux de chêne''. Le terme ''judicieusement'' prend ici tout son sens.
Jancis Robinson, la célèbre critique et
master of wine, y est également allée de sa bénédiction : ''Les copeaux ne sont pas nécessairement un mal : ils donnent au vin le type de saveur que le consommateur recherche pour un prix infiniment moins élevé qu’une maturation en véritable fût de chêne.''
Dans
Le Parisien, Hubert de Montille, illustre viticulteur à Volnay, a certes émis un petit bémol : ''Si vous mettez des copeaux dans du vin, ce n’est plus du vin, ça devient de la tisane. Que des gens aiment ça, je n’ai rien contre, mais ça n’est pas ma tasse de thé !''
Jean-Christophe Crachereau, de la chambre d’agriculture de Gironde qui a conduit les expériences entre 2006 et 2009 sur des vins en appellations Bordeaux et Médoc, explique que ces morceaux de bois ne sont qu’un outil : ''Comme toute technique œnologique, il n’est possible de révéler que les qualités intrinsèques du raisin. La qualité de la vendange est essentielle. Les copeaux en vinification jouent le rôle de catalyseur. En termes de couleur par exemple, ils vont favoriser une meilleure expression du potentiel de la vendange. Ils ne vont pas produire un fruité supérieur mais éviter que ce fruité soit masqué par de la réduction. Sur beaucoup d’aspects, ils peuvent être une assurance de préservation de la qualité en facilitant une meilleure évolution du vin.''
Enfin, rappelons que l’UE a prévu de protéger le consommateur contre tout étiquetage mensonger : ''Pour la désignation d’un vin élaboré avec l’aide de morceaux de bois de chêne, même en association avec l’utilisation de contenants en bois de chêne, les mentions [suivantes] ne peuvent pas être utilisées (…) élevé, vieilli, fermenté en fûts de chêne ou en barrique.'' En clair, un vin ayant été saupoudré de copeaux ne pourra prétendre à aucune mention laissant entendre un élevage en fût de chêne – quand bien même il aurait également été élevé en fût.
Elevé avec des morceaux de bois ?
Morceaux de bois, ce n’est pas très vendeur. On risque plutôt de voir fleurir des mots tels que éclats, pépites, paillettes... Et tout un marketing visant à mettre en valeur l’usage des copeaux de chêne et à faire franchir le pas aux consommateurs français peu habitués à ce genre de pratiques. Car l’argent est bien au cœur du problème. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- Prix d’achat d’une barrique Bordeaux : 500 € HT amortis sur 3 ans, 167 € pour 2,25 hL, soit 74 € HT/hL.
- Prix d’achat des copeaux de chêne : 10 € HT/kg utilisé à la dose de 5 g/L (500 g/hL) soit 5 € HT/hL.
Les copeaux reviennent donc 15 fois moins cher que les fûts traditionnels. C’est un argument fracassant en faveur des copeaux, du point de vue strictement économique... Mais la question qui se pose peut-être, enfin, est la suivante : pourquoi faudrait-il mettre des copeaux plutôt que rien ? Car les vins concernés par cette technique seront a priori, pour la plus grande part, des vins bon marché et de consommation rapide. Si leur fruit est plaisant, pourquoi y adjoindre un quelconque goût boisé ?
La réponse la plus crue consisterait à dire que leur fruit n’est précisément pas plaisant, et que les copeaux aideraient donc à masquer la piètre qualité des vins, pour pas cher.
L’autre argument en faveur des copeaux serait celui du fameux ''goût international'', ce goût charmeur et sans chichi que rechercheraient les consommateurs. Mais il ne tient pas vraiment la route. Une récente étude de L’Institut Coopératif du Vin (voir notre article du 27 août 2009) a en effet démontré que ce goût international, s’il existe bien, n’est pas tant porté sur le boisé : les consommateurs n’en seraient pas si friands que ça, et trop appuyer sur cette pédale-là déplairait donc à une majorité de consommateurs.
Ce n’est alors peut-être pas le boisé qui devrait être visé lors de l’utilisation de copeaux, mais plutôt leur usage, bref, en phase de fermentation, pour notamment éviter la réduction et rechercher davantage d’équilibre et de couleur. Mais on peut raisonnablement douter que ce soit cet usage-là qui en soit fait le plus souvent.
Je bois, tu bois, il boise
En somme, les copeaux de chêne ce n’est pas le diable. Mais il semble qu’il y ait un bon et un mauvais emploi de cette technique. Par ailleurs, le faible coût des copeaux peut avoir un effet pervers, incitant certains viticulteurs à en faire un usage excessif. De plus, la réglementation européenne ne semble pas prévoir de mention obligatoire indiquant l’usage des copeaux de chêne dans le vin, ce qui peut paraître curieux... Rappelons pour conclure qu’à ce jour, en France, les copeaux sont toujours officiellement interdits en AOC.
Antonin Iommi-Amunategui
© Vindicateur, 11/2009